"DURAS : La pluie. La source. Le fleuve.
Comme toi, la mer."
D’abord, un Texte — L’Amant, de Marguerite Duras — et le passage d’un bac sur un fleuve. Déjà, l’écriture se meut en un jeu de lignes qui progresse comme des reflets de lumière sur un bleu profond. Il pourrait être le fleuve.
Comme l’eau, le récit en écriture nous parvient en un flux, une onde faite d’avancées et de retraits, où la rature apparaît comme la ligne de crête qui agite la formation des mots comme celle des vagues. Elle est l’écriture en transparence qui donne à voir la pensée en mouvement : les repentirs, les ajouts, l’épure… l’écriture, nue.
Déjà, une écriture intime qui s’annonce comme un signe pictural, un objet métonymique qui se décrit par lui-même, où la forme et le fond s’unissent : alors, « les grandes marées de septembre sont là », évidentes, on les découvre et on les ressent dans la graphie de ce de ce trait animé, de ce verbe agité traversé par des stries, qui s’efface, se soustrait pour mieux réapparaître, pour mieux renaître. C’est la mer, « folle, folle de folie », c’est la pluie d’été qui tombe, « forte et drue comme un flot de sanglots ». C’est la source « qui ne veut plus mourir »… l’eau durassienne est là, comme récit et comme image, comme processus et comme fin.
C’est une écriture puisée à sa source, à son origine : vivante archive, intime témoignage, elle donne à voir le temps de l’écrit, dans son mystère et dans sa profondeur, dans ses doutes comme dans ses fulgurances : un temps qui survient et s’étire, celui des couches superposées de la « masse du vécu » à la fois passive et agissante, située entre passé et présent, ellipse et ravissement.
Elle est l’écriture « extérieure » de Duras ; une écriture qui surgit « d’ailleurs », de l’en-dehors de soi, dispersée et prodigue, « non inventoriée, non rationalisée ».. Elle est la pensée que l’on ne reconnaît pas, comme étrangère à elle-même, le fruit de l’« extrême déconcentration » de son auteure.
Sur la toile, qu’elle semble coloniser, c’est alors une écriture sauvage, comme non maîtrisée ; ce sont des phrases semées, dispersées, des phrases ouvertes qui investissent l’espace, se superposent et couvrent celui-ci jusqu’à l’illisibilité.
Alors, les mots rencontrent la matière, ses coulures et ses craquelures, et la toile, à mesure, se remplit : entre transparence et opacités, le récit de l’eau durassienne prend place, fait corps et se perd dans un espace à la fois chargé et uni, où la peinture, comme l’écriture, se fait analogique et abstraite à la fois, hasard et mystère des formes. Comme en écho à cette écriture qu’elle contient, elle est travaillée par l’eau, matière mouvante qui invente un lieu et engendre les formes.
Alors, les récits de l’eau sont comme pris dans une houle, qui s’invente et s’impose : elle emplit l’image de sa blancheur d’écume… jusqu’à l’épure absolue.
Jusqu’à la page blanche : image de l’écriture profuse et du temps cumulé, de la rencontre du vide et du plein.
La page blanche comme début et comme fin.
Comme un retour à la Source :
Le silence.
La mer.


PAYSAGES AQUATIQUES GIDIENS

PAYSAGES AQUATIQUES GIDIENS
Réalisation de six dessins de grand format pour la Fondation Catherine Gide dans le cadre du Prix de la Création artistique 2022.
Dans les ouvrages de la période symboliste d’André Gide, une grande place est accordée aux descriptions de la nature et des paysages. Ainsi, le minéral, le végétal et l’animal se découvrent au fil de la contemplation et des voyages. A la fois sujet du récit, toile de fond, destination réelle ou idéal imaginaire, cette nature s’anime et se décrit comme une présence poétique. Elle semble faire écho à la sensibilité et aux émotions des personnages et du narrateur : hospitalière, idyllique ou, au contraire, peu engageante ou source de défiance. Elle semble s’incarner et constituer un espace allégorique, métaphorique et symbolique pour les différents protagonistes. Que ces derniers soient immobiles et contemplatifs, nomades et voyageurs ; qu’ils la découvrent, la craignent où la célèbrent.
Au sein de cet univers élémentaire et sensible, l’eau est omniprésente. Qu’il s’agisse des bains dans les ondes transparentes du Voyage d’Urien, des mers agitées et des sources pires et désaltérantes des Nourritures terrestres, des eaux dormantes, objets de contemplation et de questionnements métaphysiques dans Paludes et le Traité du Narcisse, l’eau se présente comme un espace essentiel et comme nécessaire. Elle détermine à la fois l’action et les émotions des personnages. Elle est un élément protéiforme à partir duquel le sujet se projette dans un monde sensible, à mi chemin entre réalité et imaginaire.